Comitato Francoitaliano del Notariato Ligure e Provenzale
Comité Franco-Italien des Notariats Ligure et Provençal 
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XXII Congresso annuale - Genova, Porto Antico, 21/22/23 settembre 2001
XXIIème Congrès - Gênes, Porto Antico, 21/22/23 Septembre 2001

Atti autentici in Europa e firma elettronica
Actes authentiques en Europe et signature électronique

Signature électronique et acte authentique : le devoir d’inventer…

rapport de Bernard Reynis, notaire à Paris 

  • Président honoraire de la Chambre des Notaires de Paris
  • Conseiller permanent de l'UINL
 
« Ce ne sont pas les philosophes avec leurs théories,
ni les juristes avec leurs formules,
mais les ingénieurs avec leurs inventions
qui font le droit et le progrès du droit »
Albert de Lapradelle              1908


Un droit qui ne peut être prouvé est un droit qui n’existe pas. Ce que traduit notre Code Civil dans son article 1315 : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver »… Depuis l’antiquité, aucun système juridique n’ignore le droit de la preuve. Tout droit de la preuve reconnaît une hiérarchie entre les moyens de preuve, et la « meilleure preuve » des pays de droit écrit est et restera l’acte authentique!

Ce choix de l’acte authentique, comme « meilleure preuve » n’est pas celui des pays de common-law qui lui préfèrent – encore - la preuve par témoins. Un rappel historique, même bref, des raisons qui ont conduit nos ancêtres à faire ce choix n’est jamais inutile. Ne l’oublions pas, le droit romain de la période classique n’accordait aucune préférence à l’acte écrit sur les déclarations de témoins. Au contraire, le droit hellénistique ne reconnaissait pas la possibilité de prouver contre le contenu d’un acte écrit. Les romains en accordant la citoyenneté romaine à tous les habitants de l’empire, donc aux grecs, ont reçu cette influence fondamentale du droit hellénistique et reconnu la force probante des actes écrits. C’est bien plus tard, vers le XIème siècle, ici même, dans l’Italie du nord,  que l’autorité publique reconnut la fides publica, la foi publique, aux actes établis par les tabelliones , nos lointains ancêtres, et leur conféra ainsi un avantage probatoire sur tous autres actes écrits, simples documents privés. Cet usage de l’acte écrit et de la hiérarchie probatoire entre l’acte dit « privé » et celui « public » établi par les notaires fut étendu très vite à l’ensemble du continent européen, et au delà des mers aux colonies.

Il n’est donc pas surprenant qu’au XIIIème  siècle, en France, Saint Louis, ait créé ses notaires au Châtelet de Paris, auxquels il accorda une « chambre » dudit Châtelet, la première Chambre des notaires en France… Il fut très vite imité par les seigneurs du royaume qui nommèrent à la suite du roi leurs notaires. La révolution française puis le Code civil de 1804 confirmèrent le rôle dévolu aux notaires, rôle d’authentification, mais aussi de conseil. Me GARNIER-DECHESNE, un notaire de Paris de l’Ancien Régime a ainsi pu écrire en 1808 que «la rédaction de l’acte par le notaire n’est que l’aboutissement  de son rôle de conseil». Cette double vocation de conseil et d’authentificateur reste pour les notaires français le fondement de leur institution, la justification des privilèges que la loi leur a consentis. Ceci n’est parfois pas compris par certains confrères d’autres pays : nos juges, en revanche, l’ont très bien compris en développant une jurisprudence qui sanctionne les manquements des notaires à ce devoir de conseil.

Si le Code civil, comme d’ailleurs la loi de Ventôse,  sont muets sur le devoir de conseil des notaires, dès 1803, la loi de Ventôse reconnaît la force probante et la force exécutoire des actes notariés, au même titre qu’un jugement. En 1804 notre code consacrait la primauté de l’acte authentique sur l’acte sous seing privés et exigeait que certains actes soient dressés en la forme authentique, à peine de nullité. D’autres textes sont venus depuis étendre cette obligation de l’authenticité pour assurer une plus grande sécurité juridique à certaines opérations liées au droit des personnes et de leurs biens. On pourra regretter, en revanche, que l’authenticité ne se soit pas développée dans d’autres domaines du droit, notamment ceux relatifs au monde de l’entreprise. Mais, il n’est pas trop tard pour conquérir des marchés que nous n’avons pas su conserver ou gagner.

La révolution numérique que nous vivons, depuis plus de dix ans maintenant, nous en donne l’occasion. Cela est tellement vrai que certains Etats de common-law, notamment aux U.S.A., sont en train de reconnaître la force probante des actes notariés, car la mondialisation des échanges les y contraint. Ils découvrent ou redécouvrent le besoin d’un témoin privilégié, d’un tiers de confiance, qui ne soit pas un simple certificateur : le notaire de droit civil.

Cette révolution numérique, née outre-Atlantique, a obligé les états américains. et l’Etat fédéral lui-même à légiférer pour que soit reconnue aux écrits dressés sur support dématérialisé la même force probante qu’à ceux dressés sur papier. L’Europe n’a pas été en reste, mondialisation des échanges oblige… d’autant plus que les techniques nées de l’Internet abolissent les frontières de Etats. A côté de la révolution numérique, nous vivons une autre révolution, juridique : celle d’un droit de moins en moins territorial, un droit qui dépasse les frontières de nos états, un droit qui se privatise.

Dans une conception classique, le droit émane du souverain et ne s’exécute que sur le territoire où s’exerce l’autorité du souverain. Mais, quelle souveraineté reste encore à nos états pour légiférer, alors que le droit communautaire comme des conventions internationales de plus en plus nombreuses s’imposent à eux dans des domaines de plus en plus étendus ?  En outre, ces mêmes états peuvent difficilement réglementer des contrats privés conclus au moyen des nouvelles technologies : quel droit, quelle fiscalité les régissent ? Là encore, ce sont les cocontractants eux-mêmes qui font leur loi : oui, le droit se privatise.

C’est pour nous, notaires, rédacteurs traditionnels de nombreux contrats une chance de conquérir de nouveaux marchés, mais pour cela, nous devons maîtriser les nouvelles technologies et offrir à nos clients des services adaptés à ces nouvelles technologies.

Le parlement français, pour satisfaire la directive européenne 13 décembre 1999 sur la reconnaissance de la validité juridique des signatures numériques, a adopté la loi du 13 mars 2000 et modifié ainsi les articles du Code Civil sur la preuve littérale.

La loi nouvelle définit, par l’article 1316 du Code civil, la preuve littérale comme résultant d’une « suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission ». L’unité profonde de l’écrit est ainsi identifiée, commente le professeur Arnaud RAYNOUARD : c’est le support d’une volonté formalisée.   Et, il ajoute : « la différence … qui sépare l’écrit électronique de l’écrit sur papier tient à la matière du support et des signes employés ».  Cette différence entraîne une exigence spécifique pour l’écrit électronique, qu’énonce l’article 1316-1 du code : « L’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».

Ces conditions régissent aussi bien les écrits électronique ssp qu’authentiques. Elles impliquent que le texte soit signé, inaltérable et détenu par un tiers, gardien du support.  

La signature électronique est prévue par la nouvelle loi qui la définit à l’article 1316-4 du Code civil, de façon purement fonctionnelle : cette signature doit permettre d’identifier la personne qui l’appose et manifeste son consentement au texte qui la précède. Le deuxième alinéa de ce nouvel article dispose en outre que la signature électronique « consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte ». 

Ce que le législateur a rajouté au projet initial du gouvernement est, pour nous, essentiel : la signature électronique apposée par un officier public sur un acte lui confère l’authenticité. En complément, il a été ajouté un deuxième alinéa à l’article 1317 qui définissait l’acte authentique, celui-ci peut désormais « être dressé sur support électronique s’il est établi et conservé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat ».

Sous réserve de la parution de ce décret, en cours de rédaction, rédaction à laquelle le notariat est évidemment associé, l’acte authentique sur support électronique existe en France, du moins dans les textes ! Indépendamment des difficultés techniques, surtout liées à la pérennité du support électronique, il faut en effet modifier le décret de 1971 sur la confection des actes authentiques, texte qui consacre l’emploi du seul support papier.

La conservation et la pérennité du support électronique me paraissent encore les seuls véritables obstacles à la réalisation du premier acte authentique électronique, car, comment imaginer aujourd’hui, mais j’aurai certainement, du moins je l’espère, tort demain, la relecture dans cent ans ou plus de tel ou tel écrit dématérialisé. Mais, est-il réellement nécessaire, sauf pour la mémoire de la Société, de garantir la conservation à l’infini d’un contrat dont l’objet aura péri depuis longtemps et ne doit-on pas, de façon sacrilège, imaginer que pour certains contrats, nous puissions nous affranchir de les conserver à l’infini ? Je ne me hasarderai qu’à poser la question, pas à y répondre !

Pour en terminer avec cette loi, je dois évoquer une controverse doctrinale qui en a suivi la promulgation : certes, la loi énonce expressément que l’écrit électronique est admis en preuve, c’est à dire ad probationem, mais qu’en est-il  ad validitatem pour les nombreux actes où la loi française exige un formalisme particulier ? Parmi les contre-arguments soulignés par le professeur Raynouard, l’un au moins nous concerne directement : en accueillant l’acte authentique électronique, la loi a ainsi permis que des actes authentiques exigés à titre de validité puissent être désormais établis sur support électronique, ainsi en est-il des donations (article 931 du Code civil). Le problème reste néanmoins posé pour l’exigence des mentions manuscrites du Code de la consommation, notamment.

Le notariat français n’a pas attendu la loi du 13 mars 2000 pour s’intéresser, pour certains notaires, je dirais même, se passionner, pour les nouvelles technologies et leurs conséquences sur notre métier. D’éminents juristes nous y invitent très fortement : je pense au professeur Pierre CATALA qui lors de la journée consacrée à Jacques FLOUR par l’Association Henri Capitant le 10 décembre 1999 exhortait le notariat à « inventer les adaptations possibles des formes actuelles aux technologies du futur », en concluant « qu’il ne faut rien concéder à la modernité qui puisse affaiblir l’acte authentique ». 

En revanche, d’autres, heureusement minoritaires, tels le professeur Luc GRYNBAUM, prédisent que l’admission de l’écrit électronique en preuve entraînera « la chute de l’acte authentique », mais j’y reviendrai plus loin. 

Nous n’avons pas attendu le 13 mars 2000, disais-je, car depuis plusieurs décennies, le notariat français a investi dans l’informatique, avec plus ou moins de bonheur, il est vrai, pour tenir sa comptabilité d’abord, puis pour rédiger ses actes. 

La première étape fut la numérisation de nos actes : depuis huit ans environ, les offices parisiens, qui auparavant conservaient sur microfiches une reproduction de leurs actes, ont adopté la numérisation sur CDROM de leurs minutes, ce qui permet de les relire, d’en tirer des copies identiques à l’original, facilement et rapidement sans ressortir la minute des locaux d’archivages souvent délocalisés par rapport à l’office… le m² d’archives coûte cher à louer en région parisienne. Je  sais que nos confrères d’autres régions procèdent de même.

En 1995, Internet apparaissait incontournable en tant que vitrine d’une profession, d’une entreprise ou de toute institution qui voulait « communiquer » au sens publicitaire du terme.
C’est pourquoi les institutions de la profession en France, qu’ils s’agissent du Conseil Supérieur ou des Chambres régionales, firent le nécessaire pour se doter de sites accessibles au public. Certains confrères crurent pouvoir faire de même, comme nombreux notaires du Québec l’avaient fait avant eux, et se dépêchèrent d’ouvrir leur site personnel, malgré l’article 13 de notre règlement national qui nous interdit toute publicité personnelle. C’est d’ailleurs un nouveau problème que posent les nouvelles technologies à nos institutions professionnelles, comme à celles d’autres professions réglementées : peut-on encore, à l’heure d’Internet interdire ce moyen de communiquer à nos confrères ? Les avocats français y ont plus ou moins renoncé. 

Nous avons très vite compris qu’Internet, protocole qui permet aux ordinateurs de communiquer entre eux par le réseau téléphonique ouvrait bien d’autres perspectives. Pour la consultation des bases de données et l’échange d’informations entre les notaires eux-mêmes, mais aussi avec leurs clients pour la constitution des dossiers et l’élaboration des actes, le réseau est vite devenu un outil quotidien de travail au service des notaires. Mais, les notaires sont, culturellement, des obsédés de la sécurité et les informations qu’ils échangent, comme nos bases de données internes ont un caractère très confidentiel ; aussi le besoin s’est vite fait sentir d’un « intranet » sécurisé ayant deux fonctions essentielles : l’échange de données entre notaires et l’accès aux bases de données internes à la profession (statistiques immobilières, Fichier de testaments, CRIDON…) ou externes (services publics). Cet Intranet dénommé « REAL » relie aujourd’hui les 2/3 environ des notaires de France. Chaque notaire possède en outre une carte à puces du même nom qui contient un certificat, sa signature électronique, associée à un mot de passe pour s’identifier lors de l’accès à telle ou telle base de données. Chaque notaire possède donc deux outils essentiels : l’accès à un réseau sécurisé et une signature électronique sous forme de carte à puce. Mais ces outils ne sont à l’heure actuelle utilisés qu’à l’intérieur de la profession et en relation avec des opérateurs publics, jamais dans les relations avec nos clients.

C’est pourquoi, nous sommes en cours de réalisation d’un outil nouveau de sécurisation des relations clients-notaire appelé « ExtraNotaires ». Ce projet qui devrait être opérationnel d’ici quelques semaines a un double objectif :

1. Le premier est d’assurer une transmission sécurisée cryptée et signée électroniquement de tous fichiers entre les clients et les notaires. Il satisfait aux conditions de la loi du 13 mars 2000, pour ce qui est des actes sous-seing privés : ceux-ci établis et transmis par voie électronique auront donc la même force probante et la même valeur juridique que s’ils avaient été dressés sur support papier et transmis par courrier ordinaire.

Il s’agit de mettre à la disposition de chaque office un extranet dédié aux échanges sécurisés du notaire avec ses clients.

Pour des raisons évidentes de simplicité et de secret professionnel, chaque notaire pourra administrer de façon autonome la délivrance et la révocation d’un certificat de signature électronique à son client. Le notaire le fera sous l’autorité de sa Chambre qui lui délivrera les outils de certification, le tout sous l’autorité du Conseil Supérieur, lui-même, autorité racine de l’ensemble. L’outil de certification sera constitué par un CD-ROM qui contiendra le certificat unique de signature ; il ne pouvait en effet être question de délivrer à nos clients des cartes à puce, de type REAL, nécessitant à la fois des contraintes de fabrication et un lecteur dont peu d’ordinateurs sont encore dotés.

Grâce à ce certificat, le client pourra :
- se connecter sur l’extranet de son notaire en s’identifiant,
- émettre et recevoir des messages ou des documents signés, cryptés et horodatés, transmis par voie électronique. 

Cet extranet et le certificat qui permet d’y accéder sont réservés aux échanges bilatéraux du notaire et de son client. Il ne s’agit pas de concurrencer les services de certification commerciale, mais de permettre aux notaires et à leurs clients de faire de façon dématérialisée ce qu’ils font actuellement avec le papier et le courrier postal, mais aussi avec une plus grande sécurité, puisque la loi reconnaît la validité juridique de tels échanges et que le client comme le notaire seront assurés que les fichier ainsi échangés émanent bien de l’émetteur certifié, sont protégés, horodatés et non répudiables.

Je prends souvent l’exemple d’un modèle de procuration ssp adressé à un client par voie postale et qui revient à l’étude signé du client… chacun d’entre nous connaît les délais et risques liés à l’utilisation d’un tel procédé : l’extranet les supprime. Mais l’extranet nous permettra aussi bien de notifier un projet, de promesse de vente, par exemple, à un client avec la sécurité d’une réception horodatée par un destinataire reconnu par l’outil de certification.

Chacun de nous doit avoir conscience que si nous ne proposons pas un tel service à nos clients, ce sont eux qui nous l’imposeront, sans que nous puissions refuser d’accepter leurs envois dématérialisés, la loi du 13 mars 2000 les validant.

Cette nouvelle technologie, conjuguée à REAL, permettra au notaire français de signer numériquement ces échanges tant avec ses confrères qu’avec ses clients. 

2. Le deuxième objectif est de préparer les notaires à l’acte authentique électronique, la technologie mise en œuvre pour ExtraNotaires étant la préfiguration de celle utilisée pour l’acte électronique. En utilisant ce vecteur de communication sécurisé avec leurs clients, les notaires se prépareront à dresser leurs actes authentiques sur support électronique

Les enjeux et les risques de l’acte authentique dressé sur support dématérialisé sont à la mesure de la révolution numérique et nous obligent à une véritable révolution culturelle.

Je commencerai par les risques que ces technologies nouvelles posent au notaire de droit civil : le premier est sémantique, il est le fruit de la confusion du notaire de droit civil avec le notary-public, certificateur à 2$ le sceau, du monde anglo-saxon ! On lit ici et là que les nouvelles technologies nécessitent un tiers de confiance, une « notarisation » des échanges : ce mot est impropre, il est une reproduction du vocabulaire anglo-saxon pour désigner un service qui n’est pas celui que nous offrons à nos clients. 

Je ne crois pas que le notariat ait à gagner quoi que ce soit, si ce n’est à se banaliser, en offrant un service de tiers certificateur, de cyber-notary, activité non juridique peu rémunératrice, lourde en investissements, et qui nécessite pour sa rentabilité de gérer de grands volumes. Il s’agit d’une activité que la mondialisation des échanges et la volonté des pouvoirs publics oblige à créer en secteur concurrentiel, sans aucune plus-value juridique : c’est une activité commerciale, celle de ce gardien du support de l’écrit électronique qu’exige la loi du 13 mars 2000. Le notariat n’a rien à y gagner, sauf à brouiller son image dans l’esprit du public. En revanche, la profession notariale doit être son propre « gardien du support » pour les actes authentiques électroniques, pas chaque notaire isolément, mais une structure émanant de la profession contrôlée par elle, sous tutelle de l’autorité publique.

Certains, et notamment le professeur GRYNBAUM, ainsi que je le rappelai plus haut considèrent que l’acte authentique est désormais inutile puisque la sécurité apportée par la signature électronique, en terme de preuve est si bonne et même meilleure qu’avec le papier. Je le cite : « le nouvel article 1317, en retirant le rôle de témoin privilégié à l’officier public prive l’acte authentique de son essence et signe ainsi sa déchéance »… pas moins !

Il n’est heureusement pas difficile de récuser de telles affirmations. La mission du notaire ne consiste pas à certifier l’identification de l’émetteur et du destinataire d’un message électronique !

La mission du notaire consiste, après s’être assuré de l’identité des parties à recueillir leur consentement éclairé de ses conseils sur un acte qu’il a rédigé. Cet acte est authentique parce que le notaire le signe également, sa signature confère à l’acte les vertus de l’authenticité : la force probante et la force exécutoire. Si les parties ont eu recours à l’acte authentique et à ses vertus, c’est soit parce que la loi les y oblige pour des raisons de sécurité juridique (il en est ainsi des donations, contrats de mariage et toutes mutations immobilières entre vifs ou par décès, du moins en France), soit parce qu’elles l’ont voulu. Enfin, le notaire, et cela n’a rien de négligeable, assure la conservation à l’infini de ses actes. Cette mission traditionnelle du notaire a évolué en France et le professeur AUBERT, conseiller à la Cour de Cassation, définit le notaire comme « un homme de l’art investi d’une mission de contrôle de l’opportunité de l’opération au regard des intérêts du contractant le plus faible ». Une telle définition est très éloignée de celle d’un certificateur de signatures, électroniques ou manuscrites !

Il est évident que la seule technique de la signature électronique ne saurait concurrencer sérieusement le notaire sur l’ensemble de sa mission, d’autant plus que l’authenticité est une prérogative de la puissance publique dont le notaire est délégataire. Les actes authentiques sont des actes de l’autorité publique, c’est pourquoi d’autres actes que ceux des notaires se voient conférer l’authenticité, notamment : les décisions judiciaires et les actes de l’état civil. 

La qualité d’officier public du notaire, sa nomination et son contrôle par l’autorité publique, les responsabilités particulières qui lui sont reconnues ne sauraient être remises en cause ou devenir inutiles au seul motif qu’une technologie nouvelle, aussi élaborée soit-elle, permettrait de s’assurer au moyen d’un double clic ou d’une carte à puce du consentement et de l’identité de celui qui a apposé sa signature électronique sur un document dématérialisé. Ce n’est pas non plus parce que tel ou tel autre juriste aura rédigé une convention sur un support dématérialisé et recueilli les signatures électroniques des contractants que cet acte serait authentique, quand bien même son rédacteur le signerait également. L’authenticité est conférée par la signature du notaire et de lui seul parce que nos états l’ont voulu ainsi, et parce que cela est conforme à notre système juridique de hiérarchie des preuves.

Je ne résiste pas au plaisir de vous citer encore le professeur CATALA, qui lors de la journée Jacques FLOUR disait : « A l’heure où il n’est question que de tiers certificateurs, professionnels, qualifiés et insoupçonnables, on doit reconnaître que l’officier ministériel, présent à l’acte qu’il reçoit, délégataire de la puissance publique, chargé par elle de vérifier le contenu des conventions, l’heure et le lieu, l’identité des parties et d’attester la réalité de leur consentement, celui que l’on appelle depuis toujours le témoin privilégié, est le tiers certificateur par excellence. » 

La signature électronique n’est qu’un instrument, sans doute plus élaboré qu’un stylo à encre et une mémoire d’ordinateur n’est qu’un support différent du papier. Les vertus de l’acte authentique sont indifférentes du support utilisé pour sa rédaction et sa conservation. En revanche, cette rédaction et cette conservation, comme actuellement le choix du papier et du stylo utilisé, sont la responsabilité du notaire. Un acte est authentique parce qu’il est signé par un notaire, pas parce qu’il est rédigé sur papier, il l’a été dans les siècles passés sur des tablettes de cire et avant sur des pierres.

Mais le risque majeur serait de ne pas comprendre l’enjeu de l’acte électronique en ce début du XXIème siècle. Il serait bien pire que celui encouru par nos prédécesseurs s’ils avaient continué à utiliser leur plume quant les machines à écrire sont apparues, ou ceux qui voudraient se passer encore aujourd’hui des ordinateurs, photocopieurs et autres télécopieurs. Le progrès balaye ceux qui ne savent pas le reconnaître et l’adopter.

Ce risque serait aussi de croire qu’avec l’acte électronique, l’authenticité pourrait être délivrée à distance, en dehors de la présence physique des parties et du notaire, ce serait banaliser l’acte authentique en gommant le rôle de conseil, part prépondérante de l’authenticité : il n’y a pas d’authenticité sans conseil préalable. Ce qui distingue la signature électronique sur un acte ssp de celle d’un acte authentique, ce n’est pas la technique, c’est que la signature numérique des clients a été recueillie par le notaire qui a lui même signé l’acte après qu’il leur ait donné les conseils nécessaires à la formation de leur consentement, son rôle de témoin privilégié est justement de témoigner de ce consentement éclairé de ses conseils. 

En revanche, rien ne nous interdit d’inventer, au contraire même, avons nous l’obligation d’inventer des formes nouvelles où par exemple, le client A, en présence de son notaire à Nice, contracterait avec le client B, lui-même en présence de son notaire, à Paris, voire plus tard peut-être, à Gênes, Madrid, Rome, Berlin ou Londres… sur un acte électronique, d’abord national, puis plus tard européen, que les signatures des clients et de leurs notaires respectifs rendrait authentique, et dont la conservation serait assurée nationalement, chaque notaire pouvant en délivrer à son client une copie authentique, sur papier ou transmise  par voie électronique revêtue du sceau numérique du notaire. Ce même acte sera également transmis par voie dématérialisée aux fichiers publics : fichier immobilier et registres du Commerce, notamment. En ce qui concerne le fichier immobilier, comme pour l’ensemble des administrations publiques, en France, l’échéance fixée par les pouvoirs publics est proche : 2005. Il nous incombe d’être prêts, sinon d’autres risquent de l’être avant nous.

C’est d’ailleurs l’outil technologique qui nous permet d’imaginer l’acte authentique européen, que j’évoquais à l’instant : nouvelle dimension de l’authenticité dans l’espace de sécurité juridique voulu à Tampéré par nos gouvernants. Cela suppose une compatibilité parfaite de nos outils technologiques. Elle nous est promise par les techniciens. A quoi servirait une signature électronique reconnue à Nice, mais pas à Gênes : tel est le sens des textes européens et des lois adoptées dans nos différents pays pour satisfaire la directive européenne.

L’acte authentique sur support dématérialisé, c’est simplement, l’utilisation des technologies nouvelles (cryptographie et signatures numériques)  pour réaliser la même authenticité que celle qui existe aujourd’hui sur un support papier. 

Pérennité, force probante, force exécutoire, sécurité juridique… tels sont les avantages de l’acte authentique qui justifient que celui-ci soit au sommet de la hiérarchie des preuves. L’acte authentique ne doit pas être dépouillé de ce qui justifie la force particulière de ses effets. L’usage d’un support dématérialisé ne doit pas les remettre en cause. C’est à ces conditions que nous pouvons l’adopter, lorsque les ingénieurs nous donneront les garanties de fiabilité et de pérennité des supports électroniques que nos clients comme nous-mêmes sommes en droit d’exiger.

Je vous remercie.